« Mettre en scène La Campagne de Martin Crimp s’inscrit dans une double continuité : d’une part ma fidélité à cet auteur dont j’avais mis en scène en 2011, Dealing With Clair [Claire en affaires] ; d’autre part, la thématique du couple, abordée la saison dernière avec Raymond Carver, que Crimp prolonge à sa façon si singulière. Dans La Campagne, on est dans la configuration classique du trio : d’un côté Richard et Corinne, un couple de quadragénaires issus de la bourgeoisie et de l’autre Rebecca, qui vient perturber et révéler les fractures du couple. Ce qui me fascine, c’est que sous les aspects presque conventionnels ou bourgeois de ce dispositif, Crimp traite de la « dépersonnalisation ». Le couple, sous ses mots, est une machine à essorer le désir et même à anéantir la personnalité. La Campagne est une pièce très concrète, avec un art du dialogue très rare, qui oscille entre l’ironie et la profondeur. Je suis frappé, dans cette oeuvre en particulier, par la puissance de l’écriture : une intrigue parfaite (un « polar » qui se combine avec une « tragédie domestique »), un équilibre dans les dialogues, des personnages qui ne se dévoilent que très progressivement, et un arrière-plan de critique sociale et politique. Le couple, pour Crimp, peut représenter, dans cette pièce en tous cas, le début d’une forme de totalitarisme : le grand thème crimpien est, selon moi, la perversion, et cela s’applique aussi bien dans la sphère privée que publique. »
Sylvain Maurice